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Vacheries

À mon cher ami Dominique Gragnic, qui n’est pas le fermier dans ce poème

« Salut! Comment vas-tu, quat’ cinq neuf six? »

« On est en vie, au moins. On rend service.
On donne son lait chaque jour. C’est quelque chose.
On ne peut pas se plaindre, je suppose.
Ça va mieux par ce temps d’automne plus frais.
Je trouve l’été insupportable, tu sais,
avec ces mouches malpropres infestant
nos yeux; puis l’absence d’ombre dans le champ;
l’herbe fade; et — comble de désagrément —
un paysan qui conteste notr’ rendement!
Ce n’est qu’une brute, cet homme, un malhonnête.
Et tu as vu le tourteau qu’il nous jette?
Dégoûtant, dernière des qualités.
Mais pas si bête; il n’va pas me tromper.

Viens plus près, ma chère, regarde là-bas.
La pauvre double quat’ neuf cinq — tu vois?
Ne dis rien aux autres, je te prie.
Elle ne prend plus de plaisir à la vie.
Et tu connais la cause? C’est scandaleux.
L’autr’ jour est venu cet homme odieux,
a pris son badge et tiré son oreille.
J’étais à côté. Il l’a menacée!
— Ou tu augmentes ta production de lait
ou tu vas chez Bigard en steacks hachés.
— Non, mais tu t’imagines! C’est d’un vulgaire!
Un manque extrême de politesse, ma chère.
Elle ne mange pas. Tu vois comme elle maigrit?
Son existence n’est plus qu’une agonie.
Que faire? Le code-barres ne saurait mentir.
Ses jours sont comptés. Elle veut en finir.
Une vacherie l’attend au paradis.
N’éprouve-t-on pas une certaine sympathie?

Et toi, quat’ deux trois sept, ça va, la vie? »